Les goguettes
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Les Goguettes étaient des sociétés chantantes parisiennes de la première moitié du XIXe siècle. Signalées pour la première fois en 1818 dans les archives de police, elles réunissaient en soirée, chez un « marchand de vin » – le restaurant du pauvre – un public populaire, chaque participant devant présenter à l’assistance une chanson qu’il avait écrite et qu’il fallait interpréter sur un « air connu ». Tout en reprenant un mode de fonctionnement qui devait beaucoup à des sociétés plus élitistes (Le Caveau moderne, les soupers de Momus, etc.), elles se distinguaient par leur public composé essentiellement de boutiquiers, d’ouvriers de l’atelier et d’anciens soldats de Napoléon ainsi que par leur ouverture à tous ceux souhaitaient y participer, sans aucune restriction. Las airs qu’on y entendait célébraient l’amour, l’amitié, le bon vin, les malices du peuple de Paris… mais aussi la liberté ou la mémoire napoléonienne, comme le fit Émile Debraux à la goguette Au Sacrifice d’Abraham où il présenta en 1818 La Colonne, une chanson qui devint une sorte d’hymne des nostalgiques de l’Empire. Comme elles accueillaient toujours plus de vingt participants, nombre maximum autorisé par l’article 291 du code pénal, il n’en fallait pas plus pour que préfet de police ordonne, en mars 1820, leur dispersion. Certaines disparurent, d’autres continuèrent à se réunirent en jouant au chat et à la souris avec la police. À tel point qu’en 1827, la Préfecture y vit un moyen de « propager des doctrines pernicieuses » auprès des ouvriers parisiens, elle recensait alors plus de 40 goguettes à Paris. Toujours aussi frondeuses, plus organisées et plus ouvrières qu’en 1818, ces réunions furent l’objet de nouvelles directives policières visant à les disperser… mais sans grand succès. Après la révolution de 1830, les goguettes se multiplièrent, on en compte alors plus de 400 réunies toutes les semaines à Paris et dans sa proche banlieue. Si certaines affirmaient vouloir se contenter de chanter l’amour et le bon vin, d’autres se firent remarquer par les accents socialisants que l’on pouvait y entendre. Les tracasseries policières se multiplièrent à l’encontre de ces dernières, sans grand succès dans un premier temps. Poursuivies pour contravention à l’article 291 (elles réunissaient parfois plusieurs centaines de personnes), les organisateurs obtenaient régulièrement leur relaxe en assurant au jury que leur société ne comprenait que 19 membres, les autres personnes présentes lors de l’intervention de la police n’étant que des consommateurs du débit de boissons, des spectateurs passifs. Il faut attendre 1840 pour que les premières condamnations commencent à tomber et la répression à se généraliser. Certaines goguettes acceptèrent alors la surveillance policière et prohibèrent toute parole qui pourrait être jugée séditieuse. D’autres, pour préserver leur liberté de ton, se réunirent clandestinement, changeant chaque semaine le lieu de leur rendez-vous. Le coup fatal est porté par la Seconde République du parti de l’ordre qui, par un décret du 17 novembre 1849, interdit la présentation de spectacles dans les débits de boisson, ouvrant la voie à un nouveau type de spectacle chantant : le café-concert. Participant à la construction d’une identité, d’une fierté, ouvrière, favorisant la circulation dans les milieux populaires d’une parole démocratique, établissant des ponts entre les cercles républicains et socialistes – plusieurs goguettiers étaient saint-simoniens – et les ouvriers de la capitale, les goguettes ont joué un rôle certain dans la construction d’une identité républicaine, radicale et sociale. Au début de la IIIe République, Victor Rabineau, un ancien habitué de ces sociétés pouvait écrire : « Notre école à tous a été la goguette, où, à défaut d’éducation académique, nous trouvions au moins quelques conseils éclairés, la communion des idées et le stimulant de l’émulation (…) La chanson à cette époque surtout, était pour l’ouvrier ce qu’est aujourd’hui le journal : un confident et un organe, le dépositaire des aspirations nées d’un profond malaise, le messager de l’espérance. »
Translation
‘Les Goguettes’ were Parisian singing societies from the first half of the 19th century. Reported in the police archives for the first time in 1818, they tended to come together in the evening, at a "wine merchant" - the poor man's restaurant – with a popular audience, each participant having to present to the audience a song he had written, adapted to an interpretation of a "known tune". While they adopted a mode of operation that owed a lot to more elite societies (Le Caveau moderne, les suppers de Momus, etc.), they were distinguished by their participants, who were mainly shopkeepers, workshop workers, and former soldiers of Napoleon, and they were open to all those wishing to participate, without any restrictions. The songs heard there celebrated the love, friendship, good wine, and mischief of the people of Paris ... but also freedom or Napoleonic memory. For example, in 1818 Émile Debraux presented at the goguette ‘Au Sacrifice d'Abraham’ the song ‘La Colonne’, which became a hymn to those nostalgic for the Empire. These meetings always welcomed around twenty participants, which was the maximum number authorized by article 291 of the penal code, and it was simple enough for the prefect of police in March 1820 to order their dispersal. Although some disappeared, others continued to meet, playing cat and mouse with the police. So much so that in 1827, the Prefecture who saw it as a means of "propagating pernicious doctrines" among Parisian workers, identified more than 40 goguettes in Paris. Still as rebellious, more organized and involving more workers than in 1818, these meetings became subject to new police directives aimed at dispersing them ... but without much success. After the revolution of 1830, the goguettes multiplied: there were then more than 400 gathering every week in Paris and in its close suburbs. While some said they were content with singing love songs and drinking good wine, others were noted for the political and social overtones of their singing. Police harassment against them accelarated, albeit with little success at first. Prosecuted for contravening article 291 (they sometimes brought together several hundred people), the organizers regularly obtained their release by assuring the jury that their society included only 19 members, the other people present during the police intervention being merely consumers at the drinking establishment and essentially passive spectators. It was not until 1840 that the first convictions began to succeed and repression became widespread. Some clubs accepted police surveillance and prohibited any speech that could be considered seditious. Others, to preserve their freedom of tone, met secretly, changing the place of their meeting every week. The fatal blow to their activities was struck by the Second Republic by the decree of November 17, 1849, which prohibited the presentation of shows in drinking places, opening the way for a new type of singing show: the coffee-concert. These societies contributed to the construction of an identity, facilitating a degree of pride among workers, favoring the circulation in popular circles of democratic language, establishing bridges between the republican and socialist circles - several watchdogs were Saint-Simonians - and the workers of the capital, and played a definite role in the construction of a republican, radical and social identity. At the beginning of the Third Republic, Victor Rabineau, a former regular in these societies, could write: "Our school for all has been the goguette, where, in the absence of academic education, we can find at least enlightened advice, a communion of ideas and the stimulus of emulation (…) The song, especially at this time, was for the worker what the newspaper is today: a confidant and an organ, a depository for aspirations born of deep unease, and a messenger of hope.