Complainte lamentable du vrai Suisse-Errant
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Transcription
Cette chanson anonyme est un bon exemple de la propagande anti-bonapartiste diffusée par des chansonniers proches de la gauche républicaine dans le cadre de la préparation de l’élection à la présidence de la République du 10 décembre 1848. La qualité de l’illustration, une gravure sur bois, son parfait dialogue avec le texte de la chanson, témoignent des progrès faits dans l’impression des petits feuillets destinés au colportage et de l’existence de vrais réseaux de librairie pour ce type de textes que diffusaient colporteurs et chanteurs ambulants. L’illustration - un personnage traversant l’image de profil avec une canne à la main et une charge sur le dos - et le titre sont une copie détournée des très nombreuses Complaintes du Juif errant qui circulaient dans les balles des colporteurs depuis les années 1820. Les Complaintes criminelles – qui généralement racontaient, à l’aide de nombreux superlatifs, des crimes horribles, le procès, la condamnation et l’exécution des coupables – étaient un type de chansons très largement diffusé depuis longtemps dans les milieux populaires. Leur parodie dans des chansons politiques s’était assez vite répandu. De surcroit le thème du Juif errant était devenu encore plus populaire à la suite du succès obtenu par le récit éponyme d’Eugène Sue publié en feuilleton dans Le Constitutionnel du 25 juin 1844 au 26 août 1845 puis en volume de 1844 à 1845 chez Paulin à Paris. La chanson nous présente Louis-Napoléon Bonaparte errant sur la « route de Londres et d’ailleurs », avec sur son dos une cage enfermant un aigle empaillé : « Neveu d’un grand homme,/ Il en a les habits/ Les bottes, le chapeau,/ Mais très peu du cerveau ». On insiste sur son cosmopolitisme supposé - son acceptation de la nationalité helvétique dans le canton de Thurgovie en 1832 est présentée comme une renoncement « à jamais » à la nationalité française –, on se moque de ses tentatives manquées de coup d’État (Strasbourg, Boulogne), de sa démagogie et on rappelle qu’il se fit inscrire comme « special constable » - officier de police volontaire - lors de son séjour anglais, ce qui permet de l’accuser d’avoir participé à la répression du mouvement chartiste. L’auteur de ces couplets en appelle donc au sentiment national, avec quelques accents non dépourvus d’une certaine xénophobie, pour appeler à battre le candidat du parti de l’Ordre lors de l’élection de décembre 1848 et l’obliger à reprendre son errance. Une attitude ambigüe assez courante dans les refrains écrits par des chansonniers proches de la gauche républicaine durant la monarchie de Juillet et la seconde République.
Translation
This anonymous song is a good example of anti-Bonapartist propaganda disseminated by chansonniers close to the republican left as part of the preparation for the election to the presidency of the Republic of December 10, 1848. The quality of the illustration, a woodcut, is in perfect dialogue with the text of the song, and testifies to the advances made in the printing of small sheets intended for hawking and to the existence of networks of bookstores for this type of text, largely disseminated by hawkers and itinerant singers. The illustration - a character crossing in profile with a cane in his hand and a load on his back - and the title both reference the very many ‘Complaints of the Wandering Jew’ which had been circulating in the texts of hawkers since the 1820s. The Complaintes criminales generally relayed, with the help of many superlatives, the horrific crimes, the trials, the convictions and the executions of the culprits and were a song type that had been very widely diffused for a long time in popular circles. Their parody in more political songs had spread fairly quickly. In addition, the theme of the Wandering Jew had become even more popular following the success of the story of that name published by Eugène Sue in serial in Le Constitutionnel from June 25, 1844 to August 26, 1845 and then in single volume from 1844 to 1845 by Paulin at Paris. The song presents us Louis-Napoléon Bonaparte wandering on the "road to London and elsewhere", with a cage on his back enclosing a stuffed eagle: "Nephew of a great man, / He has the clothes / The boots, the hat, / But very little of the brain ”. They insisted on his assumed cosmopolitanism - his acceptance of Swiss nationality in the canton of Thurgau in 1832 is presented as a renunciation "forever" of French nationality; they laughed at his failed coups (Strasbourg, Boulogne), at his demagoguery, and they recalled his registration as a "special constable" or voluntary police officer during his residence in England, which allowed him to be accused of having participated in the repression of the Chartist movement. The author of these couplets therefore appealed to national sentiment, coupled with strains of a certain xenophobia, to call on the people to defeat the candidate of the party of the Order during the election of December 1848 and to force him to resume his wandering. At the same time, a degree of ambiguity was quite common in the refrains written by chansonniers close to the republican left during the July monarchy and the second Republic.