Pierre Charnier
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Transcription
Pierre Charnier est un chef d’atelier établi, un homme de bientôt 39 ans en avril 1834 ; il est surtout alors l’une des principales autorités montantes du peuple canut : une Lumière de la canuserie. En 1827-1828, c’est lui qui a imaginé et tenté d’établir le premier mutuellisme, une association, d’indication, de résistance et de garanties entre tisseurs. En novembre 1831, il a participé, avec d’autres chefs d’ateliers en soierie au gouvernement de la ville pendant les journées d’insurrection, évitant ainsi le chaos ; au lendemain de l’insurrection, c’est lui encore qui est envoyé à Paris comme délégué des ouvriers, avec fonction d’expliquer à l’opinion et au gouvernement les causes de l’explosion; et surtout au printemps 1832, il a été élu prud’homme tisseur, une fonction cardinale à ses yeux car « magistrat plébéien », il a pour mission de veiller les conciliations à opérer continûment dans la Fabrique entre négociants, chefs d’atelier, compagnons, apprentis. Légitimiste mais en dialogue constant avec les républicains, Charnier, comme tous les artisans, est en horreur devant le libéralisme sans âme et sans honneur du régime de Juillet, le régime des notables et soi-disant capables. Et il est accablé par l’insurrection d’avril 1834. Quelques mois après la révolte, les massacres de Vaise et l’impitoyable répression, il est à Paris pour témoigner lors du « procès monstre » qui se tient devant la Chambre des Pairs constituée en haute court de justice et où sont notamment déférés 52 lyonnais : il veut convaincre de la responsabilité première des négociants et des élites politiques et économiques de Lyon (mais aussi bien sûr de Paris) dans le déclenchement des combats : de l’irresponsabilité du libéralisme économique : « cette liberté industrielle, c’est l’esclavage de l’artisan » burinera-t-il dans un manuscrit. Arrivé à Paris, logeant chez son beau-frère, il est immédiatement arrêté par les sbires du préfet de police Henri Gisquet (les « gisquetaires » comme il les baptisera pour s’en moquer) qui lui confisquent ses documents et tentent de l’intimider. Que veut-il communiquer ? D’abord l’origine, la nature des différents industriels entre chefs d’ateliers et négociants : le déséquilibre de pouvoir entre ces deux acteurs économiques centraux de la Fabrique étant la véritable cause « industrielle » de l’insurrection. Mais aussi et surtout Charnier veut dénoncer un gouvernement dont la soldatesque a prêtée main-forte aux élites économiques et a servi à écraser les ouvriers. Et les épisodes consternants, accablants de cette « victoire » militaire dont se glorifient désormais les notables de Juillet doivent être rendus publics. Ainsi, il veut se faire l’écho du témoignage de la veuve du tisseur Jean Barges : « Nous soussigné certifions que Jean Barge, tisseur résident à Vaise, fut arrêté rue projettée dans la Maison Magry, de là conduit à faible distance route de Bourbonnais où il fut frappé d’un coup de feu tiré à bout portant au ventre, plus, il eut le bras droit coupé à coup de hache en 5 ou 6 tronçons chacun ne tenant que par un filet de chaire ou de manche. Le malheureux expira un quart d’heure après qu’il fut transporté à son domicile ». Arrêté, censuré lors de son audition, Charnier ne peut aller au bout de son témoignage. Il doit se contenter d’un court article dans le journal républicain Le Bon Sens, où il feint de s’étonner que sous un gouvernement se réclamant libéral et soumis à une Constitution les travailleurs doivent vivre sous « le despotisme du sabre » et en des temps où « les soldats peuvent tout ».
Translation
In April 1834 Pierre Charnier was an established shop manager, of almost 39 years of age; above all, he was one of the main emerging leaders of the ‘Canut’: a leading light of ‘canuserie’. It was Charnier who, in 1827-1828, imagined and attempted to establish the first mutual association, for collaboration, resistance, and the establishment of guarantees among the weavers. During the insurrection of November 1831 he and other heads of silk workshops participated in the city government, and, in the aftermath, he was sent to Paris as a workers' delegate, with the function of explaining to the public and the government the causes of the uprising. In the spring of 1832, he was elected to the industrial committee for the weavers (prud’homme tisseur), serving as a "plebeian magistrate” his role was to ensure that relations remained harmonious in the Factory between traders, shop-foremen, journeymen, and apprentices. Although a ‘Legitimist’ Charnier was in constant dialogue with the Republicans, and like all craftsmen abhorred the soulless and dehumanising liberalism of the July Monarchy, with its rule by notables and the supposedly talented. He was shocked and dismayed by the insurrection of April 1834. A few months after the revolt, with its massacres of Vaise and its ruthless repression, he was in Paris to testify during the "heinous trial" (“procès monstre”) held before the Chamber of Peers constituted as a high court of justice which deported 52 Lyonnais. He sought to convince Peers that the responsibility for the insurrection lay first and foremost with the traders and political and economic elites of Lyon (and also of course those in Paris): of the irresponsibility of economic liberalism: "This industrial freedom is slavery for the craftsman," he said in a manuscript. Arriving in Paris, staying with his brother-in-law, he was immediately arrested by the agents of the police prefect Henri Gisquet (the "gisquetaires" as he mockingly baptized them) who confiscated his documents and tried to intimidate him. What did he want to communicate? For a start, the nature of the different producers, of shop-foremen and traders: the power imbalance between these two central economic actors within the Factory, which he believed to be the main ‘industrial’ cause of the insurrection. But, above all, Charnier denounced the government for using its troops to protect the economic elites and crush the workers. He also sought to publicize the appalling episodes of this military "victory" that the July Monarchy’s notables boasted of. He cited the testimony of the widow of the weaver Jean Barges: "We the undersigned certify that Jean Barge, resident weaver in Vaise, was arrested at the Maison Magry, and from there was driven a short distance from Bourbonnais where he was shot in the stomach at point-blank range and had his right arm chopped by an axe into 5 or 6 sections each remaining connected by only a sliver of skin. The unfortunate man expired a quarter of an hour after he was taken home." Arrested, and censored during his hearing, Charnier was prevented from testifying. He had to settle for a short article in the republican newspaper Le Bon Sens, in which he pretended to be surprised that under a constitutional government claiming to be liberal workers had to live under "the despotism of the sword". Pierre Charnier (1795-1857) was a prud'homme, constantly re-elected in his Saint-Paul district, until his death in 1857. In 1849 he defended some Voraces and mutualists brought before the War Council after the 3rd canut revolt.